11/30/2011

Marjorie, notre enfant à tous

Quand j'étais en quatrième année, deux grandes filles de la sixième m'avaient attaquée sur le chemin de l'école.  C'était une journée glaciale de janvier et les deux grandes pas fines m'avaient fait une salade de neige, m'avaient traitée de petite niaiseuse et m'avaient laissée honteuse et complètement en peine au beau milieu du terrain de soccer enneigé. J'ai toujours eu peur d'elles par la suite.  Même plusieurs années après, quand je les croisais à l'école secondaire.

C'était la fin des années 70, début 80.  Même à cette époque, il y en avait des jeunes ou des enfants pas trop gentils qui "niaisaient" les autres et le sentiment d'exclusion existait bel et bien pour certains.  Il y en a eu des jeunes qui n'ont pas trouvé leur adolescence très facile. Parfois c'était l'intimidation à l'école, le sentiment d'exclusion, parfois c'était le climat familial. J'ai vécu cette détresse à l'adolescence.  Même si j'avais mes amies,  il y a eu des moments où je me suis sentie regardée de travers, peut-être jugée.  Il y a eu des moments où je me suis sentie isolée, découragée, déprimée où j'ai même eu des idées très noires.  De mon temps, il y en a eu aussi, des jeunes qui se sont suicidés, morts de chagrin.  Quand j'ai fait mon stage en enseignement dans les années 90, une jeune Tania, âgée de 17 ans, était morte d'une surdose de cocaïne.  Combien d'autres ados sont morts ainsi dans la détresse? Bref, de toutes les époques, la souffrance des enfants et des adolescents a existé, pour une foule de raisons, mais ce n'est pas un sujet très attrayant.  Un sujet plutôt tabou, une patate chaude pour les autorités, les enseignants, les parents.  La souffrance des ados d'aujourd'hui qui vivent des situations d'intimidation à l'école, est bien réelle et doit être prise au sérieux.  Ce n'est pas parce qu'on est jeune que la détresse n'est pas réelle. En France, même des enfants de 5 à 12 ans se suicident. La détresse de la jeune Marjorie était bien tangible.

L'an dernier, mon fils m'a souvent parlé d'un garçon qui s'en prenait à tous ses petits camarades de classe.  Il menaçait les autres enfants, se moquait d'eux.  Mon fils en avait peur.  J'ai avisé l'école, mais j'ai su que le garçon était déjà sous surveillance.  Cette année, il n'est plus à cette école. On a pris les plaintes au sérieux et mon fils a cessé d'angoisser.  Son angoisse était bien réelle, même s'il n'avait que sept ans.

La jeune Marjorie est un peu notre enfant à tous parce qu'elle a vécu dans un monde qui nous appartient à nous tous, une société que nous façonnons jour après jour en tant qu'adultes.  Nous avons ainsi créé un monde où d'une certaine manière, nous permettons implicitement l'intolérance et l'intimidation, à l'école mais aussi dans certains milieux de travail.  Et pour ajouter au drame, nous avons une tendance à minimiser la souffrance et la détresse des enfants et des adolescents...et même celle des adultes.

Cette histoire me bouleverse profondément et je joins ma voix à celle de la mère de Marjorie pour qu'on applique la tolérance zéro à l'égard de l'intimidation à l'école, mais aussi pour que la détresse de nos enfants ou ados soient prise au sérieux par tous.

9 commentaires :

  1. Pour ma part, je peux dire que l'école de mon garçon est efficace à ce chapitre-là, mais il ne faudrait pas oublier que la tolérance, ça commence à la maison.

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  2. Quand j'étais au primaire je fais rire de moi. J'avais un gros accent français, alors on me faisait dire des mots juste pour rire de la manière dont je parlais. Aussi, j'avais les poils des sourcils qui allaient jusqu'au nez alors jusqu'au jour où j'ai découvert la pince à épiler, ce fut un calver.
    Au secondaire c'était mieux. J'ai perdu mon accent et je suis restée discrète. Cependant, je ne compte pas revoir personne de mon village. Ce n'était pas de la grosse intimidation. Rien comme ce qu'on entend parlé, mais je n'ai pas le goût de revoir ces gens qui m'ont rendu l'enfance difficile. Je demandais souvent à ma maman si on pouvait déménager, mais d'un autre côté je me disais qu'ailleurs c'était pareil et que c'était moi le problème. Encore aujourd'hui je porte trop d'importance au jugement d'autrui, mais aujourd'hui je sais qui je suis et que je suis fière d'être moi.

    Ces jeunes sont moins seuls qu'ils ne le pensent, car on l'a vécu quand on était jeune nous aussi. Les médias sociaux font qu'ils n'ont plus la paix après l'école, mais s'ils voyent qu'ils ne sont pas seuls, peut-être même grâce aux médias sociaux, on va peut-être arriver à entamer un changement. Car moi, enfant, jamais je n'aurais cru que des adlutes autour de moi avaient eu aussi vécu ça quand ils étaient jeunes.

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  3. @Anonyme : bon point!

    Evely: je suis d'accord avec toi, mais si seulement ils savaient qu'ils ont des ressources. Il faut être vraiment désespéré pour s'en prendre à soi ainsi. Je m'interroge : étions-nous si différentes de ces jeunes? Qu'est-ce qui nous a sauvé?

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  4. Je ne sais pas si c'est une réponse, mais pour avoir pensé au sucide souvent dans ma jeunesse et pour bien plus de raison que juste pour l'intimidation, c'est moi-même qui me suis sauvée. La littérature, la philosophie, l'art et l'espoir que je trouverais mieux que mon trou noir personnel. Je pense qu'au delà de l'intimidation, il faut qu'on s'attaque au mal de vivre des jeunes. Si l'intimidation marche c'est aussi en partit parce que l'estime de soi est déjà affaiblie pour mille autres raisons. Mais attention, je ne cherche en rien à minimiser l'impact et l'importance de l'effet qu'à l'intimidation sur les jeunes... En fait, je pense que le problème est plus profond que ça... Mais je suis nullement spécialiste dans le sujet...

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  5. Christine, tu as décrit dans les beaux mots que toi seule en est capable les pensées et sentiments que j'éprouve. Moi même j'étais victime de bullying une fois d'une "gang" de filles, l'autre d'un garçon. Moi aussi, je suis profondément bouleversé par l'histoire de Marjorie.

    Cette histoire a remonté tous ces souvenirs du temps très difficile pour moi, et surtout a fait peur que ça peut arriver à mon enfant. Alors, j'ai fait un pas. De mon expérience, le bullying peut seulement cesser quand l'autorité intervient. A ma demande, je rencontre la semaine prochaine la Directrice de l'école de mon fils pour savoir les procédures exactes que l'école a pour les cas de bullying. Comme ça je vais savoir qu'est ce que mon petit doit faire si ça lui arrive.

    Pour arrêter le bullying, il faut agir tout de suite A LA PREMIERE agression. Ma propre façon de préparer mon fils à une situation possible - je l'ai inscrit au Karaté.

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  6. C'est un beau texte que tu as écris là.
    Ce qui m'inquiète, avec cette histoire, c'est la vague de haine qui a suivi envers des jeunes de l'entourage de Marjorie. J'espère juste qu'il n'y aura pas d'autres drames.

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  7. J'aime beaucoup ton billet, car il n'accuse personne. Depuis cet événement, cette semaine, les gens cherchent des coupables: des jeunes, l'école et ses intervenants,... Tout le monde dit qu'on doit agir... Ah oui? Et ils en ont des solutions?

    Je suis enseignante au secondaire. On ne se croise pas les bras. On agit avec les moyens qu'on a.

    Bref, moi aussi, ça me bouleverse. Et au lieu d'entendre les gens accuser les autres, je préfère des billets touchants comme le tien.

    Merci de ces mots.

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